Lancement du satellite de détection des sursauts gamma SVOM : un nouveau chapitre s’ouvre pour la physique des astroparticules à l’IN2P3
L’envol du satellite SVOM le 22 juin marquera l’aboutissement d’une longue odyssée technologique menée par plusieurs instituts chinois et français dont le CNRS à travers ses instituts IN2P3 et INSU. Mais pour les physiciens des astroparticules, ce n’est que le début de l’aventure : le démarrage d’un programme de physique ambitieux visant à l’étude du ciel transitoire avec pour objectif principal de percer les secrets des sursauts gamma, ces émissions de rayonnement gamma aussi brèves qu’intenses provenant de sources cosmiques lointaines. Stratégie d’observation, réactivité, couverture en longueurs d’onde… fort de plusieurs instruments en dialogue continu avec un réseau de télescopes terrestres, SVOM détient de nombreux atouts pour dévoiler l’origine de ces phénomènes mystérieux tout en contribuant à l’essor de l’astronomie multi-messagers.
Le satellite SVOM (Space Variable Object Monitor) s’apprête à propulser la physique des astroparticules dans une nouvelle ère. Cet assemblage de quatre instruments développés principalement entre la Chine et la France (CEA, CNES et CNRS avec l’INSU et l’IN2P3) atteindra son orbite équatoriale le 22 juin, au terme d’un lancement depuis la base de Xichang, dans le sud de la Chine. Objectif principal de la mission: identifier plus précisément l’origine des sursauts gamma, ces émissions très courtes de rayonnement gamma ultra-énergétique qui signent la fin de vie d’étoiles massives ou la fusion d’étoiles à neutrons. Mais aussi observer d’éventuels sursauts ultra-longs, découvrir de nouvelles sources, compléter les observations d’ondes gravitationnelles et de neutrinos cosmiques… un programme chargé à mener pendant les cinq années d’exploitation prévues du satellite.
Débusquer les sursauts gamma
SVOM n’est pas le premier observatoire spatial à se consacrer à l’étude des sursauts gamma – les observatoires SWIFT et Fermi, de la NASA, s’attèlent avec succès à cette tâche ardue depuis 2004 et 2008, respectivement. Les instruments de SVOM ont été optimisés afin d’atteindre d’excellentes performances en termes de réactivité, de précision et de quantité de données récoltées. La réactivité, tout d’abord, constitue un facteur crucial dans la chasse aux sursauts gamma, espèces fugaces. « Le rayonnement gamma initial du sursaut gamma, l’émission ‘prompte’, peut être aussi courte que 100 millisecondes et dépasse plus rarement cent secondes. Dans le processus de détection et d’alerte vers les télescopes terrestres, chaque seconde compte pour étudier les effets directs de l'émission prompte », explique Cyril Lachaud, responsable du projet SVOM à l’IN2P3. Dans le scénario physique communément admis, l’émission prompte provient des chocs internes à l’intérieur d’un jet de matière ultra-relativiste.
En pratique, c’est l’instrument ECLAIRs, sondant une très large portion du ciel nocturne, qui détecte et localise en premier le sursaut gamma. Pendant que le satellite se réoriente pour analyser le signal en profondeur par le biais d’instruments plus précis, l’alerte est lancée à un réseau terrestre d’antennes VHF disposées tout autour du globe, de part et d’autre de l’équateur. Ce signal sera traité en moins de trente secondes par le French Science Center, hébergé au centre de calcul de l’IN2P3 à Villeurbanne qui le reconstituera et alertera les télescopes terrestres de SVOM et la communauté dans son ensemble pour contribuer à l’étude du sursaut.
Une force de SVOM tient dans sa capacité à localiser avec une excellente précision l’origine des sursauts gamma dans l’Univers en complétant les premiers signaux reçus par ECLAIRs par les analyses des instruments MXT (une contribution de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne) et VT (contribution chinoise). Ces derniers, en observant respectivement les rayons X et la lumière visible, seront en mesure d’affiner à quelques secondes d’arc la position du sursaut.
Les télescopes au sol de SVOM permettront enfin d’obtenir une première estimation du redshift qui sera ensuite affinée avec les capacités spectroscopiques des grands télescopes. « La mesure du redshift, soit le décalage vers le rouge, est véritablement le nerf de la guerre dans la physique des sursauts gamma. Le redshift nous informe sur la distance de la source à la Terre. Sans cette mesure, il nous manque une information fondamentale pour contraindre nos modèles. La mesure du redshift pour la plupart des sursauts découverts par SVOM est une promesse que la communauté attend avec impatience. », commente Cyril Lachaud.
Enfin, SVOM se démarquera par l’ensemble des observations multi-longueurs d’onde, d’une part de l’émission prompte du keV au MeV avec le moniteur gamma GRM (instrument chinois) et les télescopes robotiques au sol comme Colibri (instrument franco-mexicain) qui opère dans les domaines visible et proche infra-rouge, d’autre part de l’émission rémanente (afterglow). L’émission rémanente est produite lors de l’interaction du jet ultra-énergétique avec le milieu interstellaire; elle reste détectable jusqu’à plusieurs mois dans une gamme d’énergie allant des rayons gamma de très haute énergie aux ondes radio. Or, la caractérisation poussée des propriétés de cette rémanence par l’éventail d’instruments à bord du satellite et les télescopes au sol, telles que les variations observées dans les courbes de lumière, fournira aux physiciens des données précieuses pour comprendre le phénomène des sursauts gamma.
Démasquer les sursauts gamma
Pour mettre au point le satellite SVOM, cinq instituts chinois ont uni leurs forces au CNES, au CEA, à l’INSU et à l’IN2P3. Ce dernier contribue aux différentes facettes du projet, du hardware au software, de la Terre jusqu’à l’espace, par le biais de quatre de ses laboratoires : l’APC (Paris), le CPPM (Marseille), IJCLab (Orsay), et le LUPM (Montpellier). Une des contributions majeures de l’institut à la mission SVOM est le masque codé de l’instrument ECLAIRs, responsabilité de l’APC. Cette plaque de tantale percée de trous de 54 centimètres de côté pour la partie active, au motif labyrinthique, est une composante vitale du détecteur ECLAIRs. En effet, devant l’impossibilité de focaliser le rayonnement avec des miroirs comme il est d’usage pour la majorité des télescopes[1], le masque codé permet de retrouver la position de la source du sursaut gamma à partir de l’ombre qu’il projette sur le plan de détection : à chaque source émise depuis une position donnée correspond une ombre unique.
« Le principe du masque codé est simple, c’est une technique qui existe depuis les années 70. Sa mise en œuvre, en revanche, nous a donné du fil à retordre. Il fallait en effet concevoir un appareil criblé de trous, donc structurellement fragile, mais capable de résister aux vibrations intenses d’un lancement en fusée. Les équipes des précédentes missions avaient résolu ce problème en déposant les éléments opaques sur une structure porteuse qui obstruait les trous et bloquait malheureusement une partie du rayonnement utile, notamment en dessous de 15 keV. Pour SVOM, cette solution n’était pas envisageable car nous voulions capter tous les photons, jusqu’à au moins 4 KeV», explique Cyril Lachaud, responsable scientifique du masque codé à l’APC.
La réponse apportée est aussi élégante que techniquement délicate : pour renforcer le masque codé sans obstruer les trous à travers lesquels passeront les rayons gamma, le groupe mécanique de l’APC a choisi de doubler le masque de tantale de deux plaques de titane dont la forme épouse parfaitement celle du masque codé – elles sont donc également trouées et auto-porteuses comme le masque en tantale. Pour limiter le risque de brisure, la plaque de titane supérieure a été entièrement usinée, sans soudures, à partir d’un seul bloc de titane de 2cm d’épaisseur. Fort de cet assemblage complexe, le prototype de masque codé développé à l’APC a passé avec succès les tests de résistance sur le pot vibrant d’Airbus, à Élancourt : son jumeau décollera bien le 22 juin, apposé à l’instrument ECLAIRs, avec le reste du satellite.
Des contributions des laboratoires IN2P3 variées
Outre cette contribution IN2P3 au hardware du satellite, l’institut s’est investi, en parallèle, sur le terrain du software. C’est ainsi que le laboratoire IJCLab a développé le logiciel de reconstruction du signal en rayons X de MXT, un instrument qui met en œuvre un système d’optique basé sur la réflexion, imitant la vision des décapodes (la famille des crabes et des homards). Le logiciel d’IJCLab est capable de reconstruire les photons X un par un, puis de déduire leur direction incidente à partir du motif en croix formé par leur accumulation sur le plan de détection, caractéristique de ce système optique original. « C'est de cette manière que nous pouvons localiser la source de rayons X dans le ciel. C'est une information importante que nous redescendons au sol le plus rapidement possible », commente Florent Robinet, chercheur à IJCLab.
L’APC développe le pipeline scientifique de traitement des données d’ECLAIRs au sol. Il s’agit d’une tâche délicate, considérablement compliquée par le passage régulier de la Terre devant le télescope. “Grâce à ce pipeline, nous allons pouvoir mesurer les propriétés des sources transitoires et alerter la communauté afin de permettre un suivi multi-longueurs d’onde pour mieux caractériser et mieux comprendre ces événements”, commente Floriane Cangémi, enseignante-chercheuse à l’APC.
Le LUPM est responsable des pipelines d’analyses en temps réel qui combinent les informations de ECLAIRs et de GRM pour caractériser les sursauts gamma à haute énergie. Ces analyses permettront d’extraire des propriétés fondamentales pour la compréhension de l’émission prompte des sursauts. “ Bien que le modèle des chocs internes soit satisfaisant à plus d’un titre pour expliquer l’origine de l’émission prompte, il ne permet pas d’expliquer toutes les observations. Avec SVOM, on a pour objectif d’améliorer notre compréhension de ce phénomène parmi les plus énergétiques de l’Univers” commente Frédéric Piron, chercheur au LUPM.
Avec le projet SVOM, l’IN2P3 a la tête dans les étoiles, mais elle garde les pieds sur Terre. C’est notamment le cas avec le télescope COLIBRI, situé au Mexique, fruit d’une collaboration entre le Mexique et la France, avec le CPPM comme partenaire. « Le but de COLIBRI est de trouver rapidement la contrepartie des sursauts gamma détectés par ECLAIRs et de caractériser la rémanence avec la courbe de lumière, du spectre, l’estimation du redshift et des propriétés de l’environnement du sursaut. Le CPPM participe au développement du télescope, de son opération ainsi que du lien avec le French Science Center », précise Damien Dornic, chercheur au laboratoire marseillais.
À noter enfin qu’une fois le programme de physique lancé, les quatre laboratoires IN2P3 (l’APC, le CPPM, IJCLab et le LUPM) seront impliqués dans l’interprétation et l’analyse des données issues du satellite.
Le projet SVOM s’insère dans un écosystème d’instruments dont les observations de certains phénomènes cosmiques se complètent mutuellement. A ce titre, le satellite deviendra un acteur à part entière de l’astronomie multi-messagers, et c’est sur ce point que conclut Cyril Lachaud : “SVOM pourra suivre les alertes issues de nouvelles générations d’instruments soutenus par l’IN2P3 comme Virgo, KM3NeT, CTA, LSST… Grâce aux observations multi-longueurs d’onde des instruments depuis l’espace et au sol, SVOM apportera des éléments essentiels pour mieux comprendre les phénomènes physiques associés. La complémentarité est un élément essentiel de l’astronomie multi-messagers qui sera un élément clé de la mission SVOM.”
[1] Les rayons gammas, très énergétiques, pénètrent la matière et ne sont donc pas réfléchis pas les miroirs, ce qui écarte d’emblée l’emploi de cette technologie.